dimanche 3 février 2008

Les mécanismes de protection (1)

--Armes d'une redoutable efficacité, utilisées par notre cerveau pour niveller notre marée intérieure, remplir le vide sous nos pieds, repousser les souffrances, qu'elles proviennent du présent ou du passé.--

Nous construisons notre caractère, notre ligne de vie, érigeons nos valeurs à partir de ce que nous vivons, à partir de ce à quoi nous sommes confrontés.

Parfois, la vie nous malmène. Nous attaque ou nous modèle dans les moments où nos failles sont plus fragiles. Et parfois elle profite du terreau tendre de l'enfance ou de l'adolescence pour nous infliger ses leçons les plus marquantes.

J'ai grandi dans un milieu offrant des contrastes déroutants.

Depuis que je suis toute jeune, manger rime avec désennui ou réconfort. Élevée dans une région éloignée, sans cinoche, sans centres d'achat et à l'ère de Radio Cadenas comme seul poste de télé. Très souvent, les grignotises suffisaient pour nous mettre le coeur à la fête. Je me rappelle même avoir émiétté des chips sur la table du salon, alors que moi et mon frère d'un an à peine nous nous amusions à être des animeaux vivant de nos réserves (les miettes étant la moulée genre). D'autres fois, c'était les bonbons en poudre ou les colliers... comme tous les enfants, oui, mais différemment. Je crois que tout ce sucre était entouré d'une aura magnifiée par contraste avec l'atmosphère un peu tristounette d'enfants quelques peu délaissés par leur mère enseignante, femme de carrière impliquée socialement, et élevés par des bonnes venues concocter les repas et s'occuper de l'ordinaire. Le papa prenait la relève pour la soirée, mais il manquait maman. Une enfance point malheureuse, mais légèrement déprimante si l'on compare avec ce que vivent nos jeunes aujourd'hui, toutes leurs possibilités, même en région! Une enfance où l'acte de manger n'en est pas un qui se résume à carburer. Manger est une source de plaisir plus profonde que celui d'une survie assurée. Manger désennuie.

De fraises à la crème en bols de crème glacée à la menthe, l'enfant solitaire et inactive que je suis est déjà fort rondelette lorsqu'elle commence la maternelle. Pas énorme mais enrobée juste assez pour avoir le visage rond, peu d'entrain et d'aptitudes aux jeux de groupe, souvent axés sur la performance. J'apprend à me détester, non pas par moi-même mais dans le regard des autres, leurs moqueries. Ma mère, enseignante à la même école, veille sur moi d'un oeil protecteur, ce qui n'aide pas mon assimilation. Elle laisse allonger mes cheveux jusqu'à dépasser mes fesses, ce qui me marginalise de plus belle, et j'en ai conscience. Pour elle, je suis une princesse, elle m'habille et me traite comme telle. Mais autour, le monde n'est pas fait de princesses, et je me sens plus que jamais étrangère. Le fait qu'affectivement je sois passablement handicapée ne ressort pas de prime abord puisque je suis très avancée pour mon age, scolairement. Je sais lire et compter en maternelle. Elle en est fière. Qu'en pensent mes pairs, je vous laisse deviner. Les psychologues impliqués dans l'évaluation demandée par ma mère afin sauter ma première année, les acquis étant validés, virent juste, eux. Pas prête affectivement, qu'ils ont répondu. Pas prète socialement à se retrouver avec des plus vieux. Et ils ont eu parfaitement raison, bien que ma mère ne l'acceptât jamais. La connexité sociale de l'enfant avec son milieu est au moins tout aussi importante que le volet accadémique. Elle a réussi plus tard à me faire sauter le troisième degré du primaire, mais c'est une autre histoire, que je pourrais raconter dans le volet 2 de cette longue entreprise sur les mécanismes de protection.

C'est à cette époque que je développe la haine de mon propre corps et m'engage dans cette lutte à finir, sans le savoir. Je mange ma peine. Je ne m'aime pas en tant que fille timide et soumise moralement à sa maman, jamais au sein de la controverse, incapable de m'affirmer par oui ou non. Oui je suis rondelette, corporellement, et de plus, je suis habillée comme une dinde. Je crois que ce n'était pas la priorité de nos parents en ce temps: la mode pour enfant. En jogging les grosses cuisses! Et que dire des collants inconfortables qui accompagnaient les hideuses jupes des seventies (années 70)... Je ne crois pas que c'était pour mal faire, c'était tout simplement la façon de faire de l'époque, et ma mère n'est pas fautive en celà.

On pense tout de suite, la mère était ronde! Chez-nous c'était pourtant le père. Le bon vivant, le tendre, le joueur, l'insouciant. Par contraste, la mère était excessivement mince. Pas froide mais peu démonstratrice de ses émotions, mais surtout amoureuse de l'ordre et du bcbg (bon chic bon genre), et extrêmement british: l'étiquette en toute chose. Du plus loin que je me souviennes, je ne me suis jamais identifiée a ma mère, malgré l'amour qu'elle a pu me porter. Y a des gens comme ça que l'on comprend mal. Même aujourd'hui, ayant pourtant découvert un côté d'elle hyper-émotif, je continue de la percevoir comme étant rigide, elle est rapide de jugement, et sauvageonne aussi (aime son indépendance et son autarcie). Je l'ai souvent vu percevoir les autres comme une menace. Tout le contraire de moi qui a besoin d'être entourée, qui laisse la chance au coureur à plusieurs reprise (jusqu'à ce que ma limite soit atteinte parcontre), qui suis une intense, une sanguine, une amoureuse.

Chez-nous donc, existait cette dualité gros /mince couplée avec les idées préconçues (chaleureux/triste) qui s'y rattachent. J'ai peut-être fait les associations qui s'imposaient en fonction du type de personne vers laquelle je tendais. Toujours est-il que pendant que nous nous régalions des desserts de la nounou, il était de notoriété publique dans la maison comme dans la famille élargie que ma mère mangeais moins qu'un moineau qui mange pas, soignant sa ligne en négligeant de ressentir la faim, accordant à son apparence d'enseignante une importance remarquable. Ma mère en 35 ans de carrière ne s'est jamais habillée deux fois de la même manière.... Et elle était couverte de bijoux.

Était-ce ça, faire attention à sa personne? C'est l'exemple que j'en ai eu dès l'enfance. Fallait-il, pour être "mince", adhérer à ce système de valeur, agir en conséquence? Fallait-il à tout prix ÊTRE mince, maigre même? J'aimais manger et je ne me serais jamais privée, même pour me rapprocher d'elle ou lui ressembler. J'ai bien eu quelques épisodes d'anorexie ponctuelles mais je ne suis jamais tombée durablement dans le patern ;oP Je fais une bien mauvaise anorexique, et c'est probablement une vraie chance. Donc j'ai continué de manger des chips avec mon paternel le soir devant sa soirée du hockey (ou était ma mère, je vous le donne en mille, au bingo!), et continué à réclamer toujours de mon paternel ma crème à glace à la cantine, continué à piger dans le chocolat à fondue qu'il cachait pour ses soirées tristes à lui aussi, et refusé le modèle maternel. Là fut mon premier piège. Il m'était désormais impossible d'envisager la modération en matière de nourriture sans risquer de m'associer au modèle maternel, qui ne m'apportait pas la paisibilité d'enfant que j'étais en droit d'attendre. Être avec un adulte aimant me procurait du plaisir, manger faisait partie du plaisir, mon père était et fait encore figure de gourmand :O) Pourquoi aurais-je appris et choisi l'aridité d'une alimentation "minceur"? De toute façon carencée. Comme le plaisir est à la clé de tout comportement humain, il me fut je le suppose aisé de choisir mon camp.

Je peux donc dire que mon premier mécanisme de protection s'est mis en place sur la notion de bien-être: manger rima dès lors avec la sensation d'être aimée, gâtée, bénéficiant de la chaleur humaine qui accompagnait chaque sucrerie, collation ou petit plat. À l'inverse, en être privé revenait à imiter une mère qui, bien qu'aimante à sa façon, me privait de sa présence continuelle et rassurante. Avec une bonne barre de chocolat, j'arrivais à me sentir joyeuse, j'oubliais une réelle détresse, celle qui m'étreignait encore quelque fois le soir lorsque je l'entendais partir juste après mon bain, à l'heure habituelle de la vie de famille pour toutes les maisonnées du village. Cette époque m'a tellement brisée qu'aujourd'hui j'ai fait des choix de vie qui protègent mes enfants de cette peine immense qu'est la résultante affective d'un abandon parental, même fantasmé (pas réel puisque le parent revient toujours au bercail).

Je posais la question dans un précédent billet: pourquoi doit-on choisir de défendre la rondeur, ou la minceur... pourquoi pas viser le poids optimum, le poids santé, pour la longévité. Je n'ai précisément jamais appris moi-même ce qu'est l'alimentation rassasiante sans plus, sans excès, sans influence affective. Je n'ai pas hérité de la sagesse innée du corps qui se nourrit à sa convenance. Entremêlant l'affectif à l'acte, j'ai déréglé mon sens du poids santé. Et j'ai édifié mon rapport à la nourriture en le faisant transiter par une quête d'identité. J'ai réalisé celà il y a quelques années. Mais entre le réaliser et le surmonter, il y a une montagne, que je gravis chaque jour.

Comment se fait-il que le bonheur soit associé au fait de mal manger??? De manger je peux voir, mais mal manger? (voir billet précédent)

Je possède ici une esquisse d'explication...
Maintenant, renverser la vapeur pour mon propre intérêt.
Défaire ce qui a été tissé à mon insu, en toute innocence. Défaire les associations nocives. M'aimer et me consoler pour ne plus compenser. M'aimer alors que je n'ai pas appris à le faire. Manger comme j'aurais dû apprendre à le faire, pour la chose, sans plus.

Bâtir une association "manger dans le but avoué d'entretenir ma condition physique", d'où découlera le plaisir et la satisfaction de faire attention à moi, et le bonheur de me reconnaître une valeur incontestable.

Je n'ai plus besoin de cette protection, je peux laisser tomber le réconfort de la malbouffe. Je peux maintenant trouver du réconfort dans le fait de bien manger, et occasionnellement déborder du côté des "sucreries" ou des "saleries" en assumant mes choix.

Et j'apprend à faire la paix avec mon enfance. Mes parents ont fait pour le mieux dans les circonstances, dans leurs circonstances. Et de l'amour parental, j'en ai reçu, tant maternel que paternel, et ils ont fait de moi une personne sommes toute assez équilibrée, aimante et intéressante. Le but ici n'est pas de faire une critique des soins parentaux dont j'ai été l'objet. J'exprime plutôt mes perceptions, mes blessures , au grand jour, pour laisser se former les cicatrices.

1 commentaire:

S@hée a dit…

Je comprends mieux les "attentes" de ta mère dont tu me parlais. Et de ces choses que tu me racontais.

Tu as eu de la chance quand même, le problème n'a pas gonflé jusqu'à te faire ateindre des proportions gigantesques et déteriorer ta santé de façon irréversible.

Lâche pas mon amie, on va y arriver.